Sans chichis et censure, je vous dévoile ce que j’ai écris dans mon carnet lors de mon premier voyage en Amazonie, dans la région de Santa Clara, près de Puyo.
7 juillet 2009 – 23h00
“Me Voici donc en Amazonie.
Hier Delphine m’a appris que je partais avec elle et Flor à Las Cascadas Jungle Lodge, dans la communauté Cajabamba II, près de Puyo dans… 2 heures !
Qui aurait parié il y a de ça quelques mois que j’allais me retrouver à la lisière de la forêt primaire, dans un lodge tout en bois, assez luxueux, entouré de bruits et de sons totalement inconnus ?”
Pas moi en tout cas.
“J’écris ces lignes dans mon lit, avant de m’endormir. Ce qui n’est pas le cas des chauves-souris. Apparemment personne leur a appris à écrire en silence !
Les insectes sont légions ici, voir régiment ; les moustiques sont des professionnels de l’empalement ; les tarentules rivalisent avec Demis Roussos ; les fleurs sont comme des femmes prêtes à tous les artifices pour séduire, et comme leurs semblables elles y réussissent avec virtuosité ; les oiseaux dansent la salsa ; et les bousiers roulent leurs billes.
Aujourd’hui j’ai rencontré l’autochtone, l’indigène, l’aborigène, l’endémique. Enfin celui qui vit là mais qui a oublié pourquoi.
Il a tout ce dont peut rêver quelqu’un de pauvre : rien. Même plus sont identité.
Car veut-elle encore dire quelque chose ?
Pourtant ils possèdent encore un sentiment que nous n’avons plus depuis longtemps et qui se caractérise par le fait de ne rien avoir : l’entraide.
J’entends d’ici vos soupirs nostalgiques ou vos colères. Chut, je ne vois pas pourquoi nous devrions être nostalgiques ou de mauvaise foi alors que nous l’avons sciemment rejeté. Soyons francs.
Mais à leur côtés, cette attitude reprend tout son sens. Ils sont ce que nous avons été, nous sommes ce qu’ils vont être… s’ils ne font rien.
Je n’ai pas vu un seul costume traditionnel.”
8 juillet 2009 – 8h30 du matin
“Allongé dans un hamac sur ma terrasse de mon super lodge, je me prélasse et me prends gentiment et sans prétention pour Hemingway. On peut toujours rêver.”
8 juillet 2009 – 18h15
“2ème rencontre avec la communauté, elle est vraiment attendrissante. D’une joie naturelle déconcertante, elle vous chavire et vous montre le plus important dans la vie.
Il y a beaucoup de tribus chez vous ?
Au départ un peu méfiante avec moi, l’homme barbu sans cheveux et un piercing, mais lors de la réunion l’intérêt s’est fait sentir.
D’abord les enfants bien sûr : regards, jeux, contacts. Adorables et simples.
Puis les adultes. L’on me demande pourquoi je suis ici, dans quoi je travaille, de quelle communauté / tribu je viens.
– Il y en a beaucoup chez vous ?
– Oui plein, autant que les fromages !
– On parle quelle langue en France ?
– En premier le français, puis l’argot et ensuite la politique et la blasitude.
Ils ne vivent de rien mais possèdent un sourire (édenté cela va de soi) d’une beauté pure.
J’ai joué avec les enfants, je leur ai mis un appareil photo entre les mains, ils ont posé comme des stars et puis sont partis jouer à l’indoor (foot).
J’aime bien être ici, pas de TV, pas internet, juste des gens et des jeux d’enfants.
Et bien sûr la nature.
Sur le chemin menant au lodge il y a une fourmilière de fourmis rouges : elles trimbalent en file indienne des bouts de feuilles sur leurs dos, les amènent au QG pour en faire de la pâte et nourrir la reine. Photos. Avec leurs longues pattes on dirait des araignées rouges super rapides !
Ce matin il y avait une chauve-souris dans ma douche, allongée sur le carrelage, presque morte. Je l’ai touché pour voir si elle respirait encore, bouche à bouche, massage cardiaque et tout le bordel. Ok elle bouge, she’s alive, le jeu reprend. Je la laisse tranquille.
D’ailleurs je vais aller voir si elle est toujours là…”
8 juillet 2009 – 22h15
“La pluie tombe sur le toit de ma cabaña, l’odeur de la forêt humide emplie ma chambre, je la sens pénétrer mes poumons avec fraîcheur.
Je me met Lou Reed dans les oreilles, je m’allonge dans le lit – un peu mouillé à cause de la douche que je viens de prendre – et je recommence à écrire, accompagné d’un sentiment de bien-être général, provenant d’une bonne fatigue due à une bonne journée à l’extérieur.
La chauve-souris va un peu mieux depuis que je l’ai laissé dans ma casquette, sur la terrasse de la cabaña. J’espère que ses potes vont venir lui filer un coup de main !
Je m’extasie de jour en jour sur la beauté de la forêt, de ses plantes aux couleurs si particulières, exotiques et chaudes. Je m’arrête sans cesse sur le moindre insecte, sur la plus petite plante ou sur la couleur du ciel.
Je touche du doigt la flore qu’il du y avoir à l’époque de T-Rex et consorts (pas le groupe, la bestiole).
La beauté assassine mes peurs et phobies.
Le ruissellement du rio coulant en contrebas m’apaise et m’aide à oublier qui je suis, pour me donner l’occasion d’exploiter en moi ce que j’ai de plus sensible.
Je pense un peu mieux qu’à mon arrivée, je me libère des prisons de mon esprit, des ennuis petits et plus gros.
La beauté assassine mes peurs et phobies ; l’errement des mes pensées retrouvé je m’égare dans les fonds de mon âme, ouvrant des portes jadis empruntée et de nouvelles, ce qui m’aide à mieux ressentir les choses, les gens, les sons et les odeurs et par dessus tout moi-même.
Je m’endors.”
9 juillet 2009 – 14h
“Dracula est partie.
Ce matin je suis allé voir ma pote : elle était restée toute la nuit dans ma casquette, la tête en bas comme c’est la coutume dans sa famille.
J’ai du l’enlever de ma casquette car il pleuvait et j’en avais besoin.
Du coup, je l’ai plantée là, sur la terrasse, seule, et je pense qu’elle me fait la gueule vue qu’elle est partie sans laisser de message.
Enfin si, un.
Une belle crotte noire pour me signifier que mon départ ce matin lui a fait très mal, que j’aurais pu au moins lui faire une bise.
Ca c’est une femme ! Car oui je les aime avec du caractère, celui qui sait dire je t’aime.”
9 juillet 2009 – 22h30
“Il pleut encore. Je suis assis sur un sofa situé sur la terrasse du lodge, au premier étage.
“Un caractère rebelle qui rejaillit” à la nuit tombée
J’aime écouter la pluie tombant sur le toit et faisant sonner les feuilles des arbres d’un bruit mat, ainsi que les sons des animaux nocturnes.
Car il semble que la vie prenne tout son sens la nuit. Le tomber du jour sonne comme les cloches d’une église, donnant à tous le départ pour une messe collective d’un vacarme fracassant.
Les oies d’Amazonie, les créatures de dame nature ont un sens certain du désobéïssement, un caractère rebelle qui rejaillit quand justement arrive le temps de se faire muet.
Dracula est revenue en fin d’après-midi et s’est éclatée dans ma chambre. Pas qu’elle se soit écrabouillée la tronche contre une vitre, non ! Elle m’a fait une démonstration de sport extrême, surement pour célébrer nos retrouvailles.
Elle a volé pendant au moins une heure au-dessus de ma tête, virevoltant, s’emballant, passant la 5ème, et tentant de faire du wall-grind sur les murs.
Bon, je dirais qu’elle possède un talent certain pour la voltige mais que pour les X-games c pas encore gagné quoi !
Je n’ai pas de réponses mais le sentiment que la désespérance humaine y est pour quelque chose.
Demain, nous repartons pour Quito. J’aurais passé 4 jours ici, ce qui est peu au regard de tout ce qu’il y a à voir, découvrir et connaître. j’espère y revenir bientôt et m’enfoncer plus profondément dans la jungle, venir au plus près de ce qu’il reste de sauvage et pur. Avant qu’elle ne s’éteigne d’un souffle douloureux.
Par ce que je vois et observe ici, il est à présent clair pour moi que nous vivons une période d’une cruauté extrême sonnant le glas de ce qui reste de réellement sauvage et naturel.
D’autres nous ont prévenu et s’efforcent de nous faire entendre raison mais nous restons sourds à leurs appels, car il est connu que ce que nous ne pouvons voir de nos yeux nous ne pouvons l’entendre.
Quand je vois tant de désastres, de destructions, je me demande si notre avenir en est un, si cela est réel et comment cela a-t-il pu arriver. Je n’ai pas de réponses mais le sentiment que la désespérance humaine y est pour quelque chose.
Finalement, peut-être que ma pote était contente que je me casse. Au moins elle était tranquille.”
10 juillet 2009 – 10h
“Ce matin je me suis fais réveillé à 6h par le soleil. Lever 7h20, douche, petit déj’ à 8h.
Cela me fait penser que cette nuit fut douce. J’ai fait un rêve doucement érotique empreint de tristesse.”
Je partage la conclusion “en demi teinte” (c’est un euphémisme je sais) de ton article et j’ai ressenti le même sentiment de gâchis incommensurable en quittant Taman Negara. Une fois dans le “train de jungle” je voyais défiler le paysage et j’ai vu progressivement les arbres millénaires céder la place aux palmiers à huile, sur des km et des km. J’avais sous les yeux un exemple bien réel des ravages que peuvent produire la sur-consommation. Quand ca touche un écosystème aussi fascinant et riche, c’est encore plus écoeurant.
Comme tu dis, c’est écœurant Il y a des choses que je ne comprendrais jamais chez l’Homme. La loi de l’offre et de la demande (présumée ou forcée) me sidère. C’est pourtant si beau et magique.