La Route des Grandes Alpes à vélo : traversée des Alpes françaises en 5 jours

La Route des Grandes Alpes est un grand classique du voyage à vélo. Un incontournable accidenté et exigeant qui chemine à travers le massif des Alpes françaises et escalade les plus grands cols mythiques : Galibier, Iseran, Izoard, Cormet de Roselend… Un repas copieux de 720 km pour près de 18 000 mètres de dénivelé positif à découper comme votre niveau le permet.

 

Départ : Thonon-les-Bains (Haute-Savoie)
Arrivée : Nice (Alpes-Maritimes)

Itinéraire : Trace GPS

Difficulté : ★★★★★
très exigeant

Distance : 720 km
Dénivelé + : 18 000 m

Intérêt : ♥♥♥♥
splendide

Route : ✔︎✔︎✔︎✔︎
beaucoup de trafic et même dangereux en été

• Avant le départ : conseils pour préparer son périple
• Jour 1 : Thonon-les-Bains → Saint-Jean-de-Sixt
• Jour 2 : Saint-Jean-de-Sixt → Val-d’Isère
• Jour 3 : Val-d’Isère → Briançon
• Jour 4 : Briançon → Saint-Étienne-de-Tinée
• Jour 5 : Saint-Étienne-de-Tinée → Nice


 

La Route des Grandes Alpes à vélo, de Thonon à Nice

Un itinéraire historique

1913 : la compagnie de chemin de fer Paris-Lyon-Méditerranée (PLM), qui exploite un vaste réseau ferroviaire, inaugure la Route des Grandes Alpes. Le périple, effectué en car ou en automobile, est réalisable en cinq jours. L’itinéraire relie déjà Thonon-les-Bains, sis sur les berges du lac Léman, à Nice, mais ne suit pas encore la ligne de crête du massif puisque les cols de l’Iseran et de la Cayolle ne sont pas ouverts aux automobiles en ce début de XXe siècle.

Le but d’un tel itinéraire était de développer le tourisme à une époque où les vallées alpines étaient très enclavées et isolées. On peut aisément imaginer la rudesse des conditions de vie au début du XXe siècle dans les fonds de vallées reculées. Mis à part quelques alpinistes épris de sommets enneigés, la montagne n’attirait pas encore les foules.

Plus de cent ans plus tard, une chose est sûre : la mission que s’était donnée le Touring Club, à l’origine du projet, de développer le tourisme dans les Alpes est plus que réussie. Tellement bien réussie que la Route des Grandes Alpes se heurte aujourd’hui au problème inverse : le sur-tourisme.

Le kilomètre 0 officiel. La route est encore longue…

 

Avant le départ : conseils pour préparer son périple

Quel itinéraire ?

1) Choisir son itinéraire
Aujourd’hui, l’itinéraire classique de la Traversée des Alpes à vélo est le même depuis l’ouverture du col de l’Iseran, le plus haut col routier du continent, en 1937 (!). Environ 740 km et 18 000 mètres de dénivelé positif. Mais plusieurs traces sont possibles ; avec des variantes diverses, des grimpées bonus, des cols méconnus. Il existe aussi un parcours moins couru, moins prestigieux peut-être, mais certainement plus calme : les P’tites Routes du Soleil. Faites vos choix en fonction de vos préférences, de votre niveau bien sûr, du nombre de jours dont vous disposez, etc. Le site de la Route des Grandes Alpes® vous fournira des informations précieuses pour commencer, à vous ensuite de travailler votre projet, de l’affiner, en fonction de vos envies et de vos possibilités.

quelque soit votre itinéraire, vous allez collectionner les cols !

2) Direction le sud ou le nord ?
La Traversée des Alpes à vélo se roule traditionnellement du nord au sud, mais vous pouvez bien évidemment faire l’inverse. Il y a du pour et du contre pour les deux options. Très personnellement, je trouve l’arrivée sur Nice et la Grande Bleue plus spéciale, plus grandiose. L’itinéraire nord-sud propose aussi moins de remontées de vallées usantes et barbantes, le Galibier sera également grimpé par son versant le plus prestigieux. Partir de Nice permet par contre de gravir le col de Vars par son côté le plus joli ou l’Izoard par son versant mythique, il permettra aussi d’éviter l’horrible montée de Val-d’Isère, il vous faudra bien la descendre, mais ça passera toujours plus vite !

Mon itinéraire : Je souhaitais réaliser le tracé classique, la Route des Grandes Alpes historique, avant peut-être de rouler d’autres versions… Mais j’avoue avoir opté pour une petite variante, happé par les sirènes de la plus haute route d’Europe, la Cime de la Bonette. Mis à part cette petite entorse à l’histoire, mon tracé suit la Route des Grandes Alpes historique (voir la carte ci-dessous).

Un itinéraire qui fait froid dans le dos… à soigneusement découper. Source Strava®

3) Découper son itinéraire
La Route des Grandes Alpes mesure au total 720 km pour près de 18000 m de dénivelé positif. Il faut donc réfléchir avant votre départ à la « découpe » de ce périple. Pour cela, il est nécessaire de prendre en compte : les kilomètres journaliers bien sûr mais aussi – surtout – les mètres de dénivelé à gravir, ainsi que les possibilités d’hébergement. Sur ce dernier point, pas trop de souci puisqu’il y a de nombreux hébergements dans chaque vallée traversée, voire en haut des cols. Il faudra cependant penser à réserver en été afin de ne pas être pris au dépourvu.

Mon conseil : réfléchir non pas en kilomètres mais en nombre de cols / dénivelé positif. Êtes-vous capable de franchir un, deux, trois cols dans la journée ? Avec le dénivelé qui va avec bien sûr. Allonger une étape veut parfois dire ajouter un col et donc beaucoup de dénivelé, ne soyez donc pas trop gourmand. Enfin, pensez aussi à votre chargement (voir ci-dessous). Partez-vous pour une traversée avec assistance et donc le minimum à transporter tous les jours ou en complète autonomie qui va vous alourdir et donc nécessairement vous ralentir ?

Voici deux exemples de « découpe » pour une traversée des Alpes françaises à vélo en 8 jours ou en 5 jours (cliquer sur le bandeau ci-dessous de votre choix pour déployer la partie topo concernée). Mais tout est possible !

La Route des Grandes Alpes à vélo en 8 jours (classique) :

Des étapes autour des 100 km, mais avec un dénivelé plus que correct et supérieur à 2000 m de dénivelé quotidien et de beaux cols chaque jour :

étape 1 : Thonon-les-Bains → Cluses (97 km / 2200 m D+)
étape 2 : Cluses → Beaufort (88 km / 2600 m D+)
étape 3 : Beaufort → Val-d’Isère (71 km / 2500 m D+)
étape 4 : Val-d’Isère → Valloire (108 km / 2100 m D+
étape 5 : Valloire → Guillestre (104 km / 2500 m D+)
étape 6 : Guillestre → Saint-Étienne-de-Tinée (90 km / 2700 m D+)
étape 7 : Saint-Étienne-de-Tinée → Sospel (110 km / 2300 m D+)
étape 8 : Sospel → Nice (53 km / 900 m D+)

La Route des Grandes Alpes à vélo en 5 jours (mes étapes) :

Avec mon entraînement et ma forme du moment, je me sentais capable de réaliser la traversée des Alpes françaises à vélo en cinq jours, en autonomie complète. De grosses étapes avec un beau dénivelé quotidien :

étape 1 : Thonon-les-Bains → Saint-Jean-de-Sixt (130 km / 3400 m D+)
étape 2 : Saint-Jean-de-Sixt → Val-d’Isère (125 km / 3900 m D+
étape 3 : Val-d’Isère → Briançon (162 km / 3400 m D+)
étape 4 : Briançon → Saint-Étienne-de-Tinée (139 km / 4000 m D+)
étape 5 : Saint-Étienne-de-Tinée→ Nice (163 km / 3200 m D+)

Quand partir ?

Attention à l’ouverture des cols ! Si le col de l’Iseran est généralement le dernier à être ouvert, le 2e vendredi de juin, cela dépend des années. En 2024, l’année de ma Traversée des Alpes à vélo, l’Iseran justement n’a ouvert ses portes que le 24 juin, deux jours avant mon passage ! Et si un col est fermé, il vous faudra parfois faire de sacrés détours. Eh oui ! il n’y a pas tant de routes que ça au cœur du massif des Alpes. Vérifiez donc bien si les cols sont ouverts le jour de votre passage et étudiez un itinéraire bis si certains sont fermés.

L’idéal pour effectuer la traversée des Alpes à vélo sont les mois de juin (à partir de mi-juin du coup) et septembre, la fenêtre de tir est réduite. Bien sûr, il est possible de rouler l’été, mais le trafic sera vraiment dense, voire dangereux notamment entre le 15 juillet et le 15 août, et les chaleurs caniculaires pourront aussi augmenter la difficulté d’un périple déjà exigeant.

Avec ou sans-assistance ? En autonomie ou semi-autonomie ?
Contrairement aux Pyrénées qui sont par endroits très sauvages et peu urbanisées, les Alpes sont bien plus marquées par la patte de l’Homme. Aucun problème donc pour se loger et pour se sustenter sur le parcours : hôtels, campings, gîtes, chambres d’hôtes ; restaurants, cafés, boulangeries, épiceries. Dans toutes les vallées, et au sommets de nombreux cols, vous trouverez tout ce dont vous pouvez avoir besoin.

À vous ensuite de choisir entre :
■ le voyage avec assistance (voiture suiveuse et hôtel, parfois camping) et donc le minimum à porter chaque jour,
■ le voyage sans assistance en semi-autonomie avec des affaires pour la totalité du trajet harnachées au vélo mais avec des nuits « en dur », gîte ou hôtel,
■ le voyage en autonomie avec de quoi camper et bien sûr les affaires pour rouler pour tout le périple, la version la plus aventureuse.

Mon choix : l’autonomie, pour la liberté de dormir où je veux et la possibilité de raccourcir certaines étapes si besoin voire en allonger d’autres à l’envie. Le prix à payer : se trimballer une tente, un matelas gonflable et un sac de couchage. Les plus aventuriers dormiront à la belle étoile ou sous un tarp, une simple bâche minimaliste… ou dans une cabane fortuite ! Le bivouac version luxueuse.

Bivouac de luxe

Quel équipement ?

Avec assistance / voiture suiveuse :
L’équipement pour la journée ! En toute légèreté. Cuissard, maillot, casque, lunettes, chaussures, l’indispensable gilet coupe-vent pour les descentes et puis c’est tout. Pensez quand même à emmener dans vos affaires et potentiellement sur certaines étapes des affaires chaudes, cuissard long ou jambières, veste hiver, gants longs, etc. Il n’est pas rare d’avoir des températures proche de 0° C en haut de certains cols, même en été ! N’oubliez pas le petit kit de réparation et les éléments de sécurité indispensables. Avant de partir, êtes-vous bien équipé ? ➜ Davantage de détails dédiés à l’habillement du cycliste et aux indispensables de toute sortie vélo dans nos conseils pratiques 🚴‍♂️

En semi-autonomie (sans voiture suiveuse mais nuit « en dur ») :
Pas de grandes différences pour l’équipement cycliste, si ce n’est que le tout devra tenir dans vos sacoches ! Il faudra bien sûr prévoir aussi une tenue pour le soir, à l’hôtel ou au gîte. Une règle d’or : limiter le poids… tout en étant paré pour le froid. Un petit casse-tête à tester bien avant le départ du périple.

En autonomie (sans voiture suiveuse et nuit en camping, voire bivouac) :
Idem qu’en semi-autonomie mais avec en plus le besoin d’ajouter la tente, le matelas et le sac de couchage, voire un réchaud, une popote et de la nourriture pour les plus épris de liberté (cf : nos conseils pour réussir son bivouac). Je préfère manger froid en version pique-nique, dans les boulangeries, voire au restaurant.

Comment se rendre au point de départ et... revenir ?

Rien de mieux que le train pour se rendre au départ de cette Route des Grandes Alpes. Que ce soit de Thonon-les-Bains sur les bords du lac Léman ou de Nice sur les rives de la Grande Bleue, ces deux villes sont bien sûr desservies par le train. Il sera donc possible de se rendre au point A via le rail et repartir du point B par le même moyen de transport, ou de laisser sa voiture au départ ou à l’arrivée et de faire l’aller ou le retour en train.

le lac Léman sous un ciel tumultueux la veille du départ

Jour 1 : Thonon-les-Bains ➜ Saint-Jean-de-Sixt

cols : Feu, Joux Plane, Colombière

dénivelé : +3600 m cumulés

distance : 135 km

Thonon-les-Bains, kilomètre zéro de cette traversée des Alpes à vélo. Bord du lac Léman. Devant mes roues : 720 kilomètres, 16 cols et environ 18 000 mètres de dénivelé positif. Au bout : Nice et la Grande Bleue.

Départ frisquet à l’aube, le temps pour le soleil de réchauffer ce petit coin des Alpes. Premiers tours de pédales pour sortir de l’agglomération haute-savoyarde. Quitter la ville au plus plus vite. Quitter son train-train quotidien. Quitter ses soucis. La route est large et encombrée et s’élève déjà sur les coteaux, ce qui permet de chauffer les muscles mais empêche d’aller bien vite. On s’extirpe de la gangue urbaine au niveau de Lyaud par une petite route bien plus agréable. Orcier, quelques encablures plus loin, annonce le début des choses sérieuses : baptême du (col du) Feu. Les premières rampes se dressent devant le regard et invitent tout de suite à la sagesse. Heureusement la pente s’adoucit vite et permet de tourner les jambes gentiment.

les choses sérieuses commencent

Les 15 kilomètres d’échauffement jusqu’au pied du col n’ont pas été suffisantes pour mes cuisses où des petits points douloureux m’inquiètent… à peine parti ! Au niveau d’un calvaire, la route se cabre (coïncidence?). Je passe tout à gauche, sur le braquet le plus facile, pour mouliner, passer en souplesse, le secret pour abattre une bonne moisson de bornes quotidiennes et aller le plus loin possible, le plus vite possible. Se hâter lentement.

Soudain la trace sort des bois. Quelques lacets sillonnent des prés broutés par des troupeaux d’Abondance qui nous offrent ce bon reblochon faisant la fierté des agriculteurs du cru. Des chalets ventrus affalés dans l’herbe, les fenêtres ouvertes sur le lac qui s’étire de tout son long, aplat bleu roi ceint d’un horizon montueux. Les jambes tournent et la caboche cogite et les jeux de mots déferlent sans crier gare. Une manière de passer le temps. Je poursuis ma route dans ce col du Feu sans m’enflammer, il n’y a pas le (col du) feu au lac et les 6 kilomètres à 8 % de moyenne (tout de même !) passent relativement bien.

pas de doute, on est en Haute-Savoie…

Après un bel effort le panonceau du col apparaît entre deux mamelons couverts de forêts de conifères. La première difficulté a été franchie. Les muscles sont chauds. Les douleurs matinales se sont envolées. Les cogitations du quotidien ont été larguées dans les lacets. Place au voyage. Et place à la descente. Courte (3 km). Pentue (9 % de moyenne). De beaux lacets au cœur d’une forêt dense pour tomber sur le petit bourg de Lullin et sa grosse église au clocher en forme d’oignon.

La vallée est douce, encadrée des monts verdoyants et indolents du massif du Chablais. La route plonge dans le fond du vallon pour remonter sur l’autre versant par une courte grimpette. Puis, après d’agréables kilomètres roulants, ombragés, on retombe sur l’axe Morzine-Thonon. La D902. L’horrible D902 ! Une bonne dizaine de kilomètres à se coltiner sur cette route bien trop passante où les camions, motos et voitures de sport se relaient dans un brouhaha fatigant. Je serre les fesses et appuie fort pour que cette portion franchement pénible, sans l’esquisse d’une maigre piste cyclable, dure le moins longtemps possible. Ne ratez pas la route qui part sur la gauche juste après le pont du Diable, direction Le Biot, les quelques mètres de dénivelé en plus valent bien la poignée de kilomètres infernaux en moins !

quelques instants de répis en marge de l’horrible D902

Morzine. Petite pause pour reprendre des forces et de l’eau. Il en faudra de la force pour venir à bout du col de Joux Plane. Le pourcentage moyen n’est pas si terrifiant mais la pente est irrégulière au possible. Après deux bornes terribles à environ 10 %, la route alterne entre portions bien pentues et replats salvateurs. La trace s’enfonce petit à petit dans une belle forêt de conifères. Quelques vues s’éloignent derrière moi, il faut se tordre le cou pour les admirer. Devant, de droite, de gauche : du vert. Des verts : tendre, sombre, pâle, sapin, émeraude ; un camaïeu aux milles nuances, subtiles, discrètes. Puis au Verchaix, place aux alpages, aux cloches qui tintent à travers les bois.

le col de Joux Plane nappé de verdure © Fab__Rides 📷

Le col de Joux Plane est éprouvant de par son irrégularité et sa longueur : 10,7 km et un menteur 7,5 % de pente moyenne, menteur car les derniers kilomètres sont beaucoup plus faciles, avec même une petite descente après le col du Ranfolly. C’est après deux bornes bien raides que la route débouche à ce premier col où ronflent les télésièges qui tournent l’été pour les VTTistes. Ensuite, trois bornes roulantes avec des panoramas splendides. Car si le col n’offre que peu de vues dégagées tout au long de la grimpée, ce n’est que pour se rattraper au sommet.

Époustouflant, ébahissant, grisant. Le spectacle est grandiose ! Un petit lac d’altitude ajoute une touche bucolique au somptueux décor. Le massif du Mont Blanc se dresse tel un rempart infranchissable, coiffé de neiges éternelles et toisant de toute sa hauteur la vallée, paisible et verdoyante.

route balcon splendide entre le col du Ranfolly et de Joux-Plane

La descente est longue, joueuse, la route virevolte à flanc de montagne et dégringole dans la vallée. Samoëns, aux portes du cirque du Fer-à-Cheval. Sa place des halles, son tilleul multi-centenaire, ses demeures cossues, son église massive, bien campée sur ses jambes, au toit aplati. Et des fleurs qui débordent des jardinières. Village alpin au charme suranné et lieu idéal pour la pause casse-croûte. Boulangeries, restaurants, supérettes : l’embarras du choix. J’opte sans regret pour les Tartines de Martine. Tartine tomates pesto mozzarella, salade verte, tarte myrtilles, café. Ouvert de 10 h à 18 h à la belle saison, pas d’inquiétude si vous arrivez donc un peu tard pour le déjeuner, ce salon de thé, épicerie, snacking proposent des tartines généreuses, des croque-monsieur variés, des quiches délicieuses et d’excellents desserts.

descente sur Samoëns

Direction Taninges par une route peu agréable, passante et encore une fois sans l’once d’une bande cyclable. Juste après Taninges, une étroite route pittoresque permet d’esquiver quelques kilomètres sur cette voie trop large. L’alternative grimpe comme la route principale, avec un revêtement bien plus rêche et un passage assez raide mais dans un calme apaisant.

La trace rejoint la grosse route au sommet de la bosse. Descente sur cette large voie jusqu’à Cluses. Petite ville sans grand intérêt où on ne fait que passer, sauf si vous avez besoin de quoi que ce soit.

Le dernier col du jour, la Colombière se dresse désormais devant mes roues. Le plus difficile de l’étape, pour finir en beauté. Le col de la Colombière : c’est long, 17 bornes ; c’est raide, 10 % sur les rampes finales ; c’est dur quoi. Le col se divise en trois chapitres.

■ Chapitre 1 : la forêt
Quelques kilomètres tout doux pour s’échauffer, comme si je ne l’étais pas déjà, puis une pente oscillant entre 6 et 8 %. Le décor est planté d’une belle forêt de feuillus. L’ombre est salvatrice en ce milieu d’après-midi ensoleillé. Mais rares sont les ouvertures sur le paysage et les distractions, alors je prends mon rythme, me concentre sur mon pédalage et le ronron du pédalier qui tournicote.

 

■ Chapitre 2 : Le Reposoir
La pente s’adoucit sans prévenir. Il y a quelques années, lors de la jolie cyclo JPP 9 de Cœur, j’avais remis le grand plateau de 52 dents sur cette portion, filant à 30 km/h. Ce n’est pas la même aujourd’hui, les jambes sont lourdes comme mes sacoches et l’objectif n’est pas le même. Je reste sagement sur le petit plateau et profite de l’accalmie pour ne pas puiser dans les réserves. Je connais le dernier chapitre, plutôt dramatique que happy end. La route sort des sous-bois juste avant le village du Reposoir qui invite… au repos. En cyclo, pas le temps de flâner. Alors cette fois j’en profite. Je m’arrête pour admirer l’église Saint-Jean-Baptiste, faire le plein d’eau et grignoter quelques barres sucrées.

le village du Reposoir et son église Saint-Jean-Baptiste © Fab__Rides 📷

■ Chapitre 3 : l’apothéose
Les sept dernières bornes de la Colombière sont redoutables. Elles m’avaient parues interminables en course. Il en sera de même aujourd’hui. Les rampes juste après Le Reposoir sont plus raides que la justice. J’avance cahin-caha en contemplant le paysage alentour. Les arêtes aiguisées du massif des Aravis déchirent le ciel d’azur, le monastère de la Chartreuse du Reposoir se prélasse affalé sur une épaule herbeuse tandis que le village se blottit dans un recoin en contre-bas.

Sans aller bien vite, je progresse plutôt bien. Jusqu’au panneau affichant les trois derniers kilomètres. Les feuillus sont de plus en plus épars laissant place aux pentes d’herbes rases et aux falaises gris anthracite. Là haut, sur la gauche, une échancrure et un chalet amiral. Le col. Si proche, si loin. Je le vois, juste là, je le crois à porter de roues, mais la pente se rebiffe. 9 %, 10 %. Une longue entaille de bitume rogne la falaise qui, parfois, offre un bouffée d’ombre bienfaitrice, car le soleil matraque sans distinction macadam et vélocipède. Je ne parviens pas à maintenir ma cadence. Ma vitesse diminue au fil des mètres. Je souffre. J’ahane. Je me dresse. Dans le vain espoir de relancer la machine. Je me traîne. Zigzague. Un mètre. Un autre. Le col. Enfin. Flanqué de deux imposants chalets offrant sodas, gaufres et autres gourmandises amplement méritées. La fin de l’étape est proche maintenant.

 

Descente somptueuse sur une route en parfait état, avec de larges lacets généreux et quelques belles lignes droites où le compteur s’affolent. Des pics, des pointes, des arêtes tout autour. Le Grand Bornand fourmille déjà de touristes en ce mois de juin. D’ici, le rempart acéré des Aravis, si impressionnant, est malheureusement ennuagé. Je file. Jusqu’à Saint-Jean-de-Sixt où j’ai prévu ma première escale. La supérette me fournit un copieux pique-nique nécessaire avant d’aller planter la tente. Demain, la même (130 km)… en pire (4000 m de D+).

 

Jour 2 : Saint-Jean-de-Sixt ➜ Val-d’Isère

cols : Aravis, Saisies, Cormet de Roselend, montée de Val-d’Isère

dénivelé : +4000 m cumulés

distance : 130 km

Une grosse journée au programme. Digne d’une étape du Tour de France. Départ matinal. Je plie le bivouac et m’élance dans la fraîcheur aurorale. Après un petit échauffement jusqu’à La Clusaz, je profite d’une boulangerie pour me sustenter. Pain aux raisins, pain au chocolat, baguette viennoise, café double. Loin d’un petit-déjeuner de professionnel mais de l’énergie pour affronter le premier obstacle du jour : le col des Aravis. Le plus « facile » de l’étape. Sept kilomètres plutôt roulant depuis La Clusaz, sur une route large et un bel asphalte qui rend bien.

coucher de soleil et La Clusaz à l’aube

Jour de semaine. Les artisans poussent les rapports et font grincer leur fourgonnette estampillée de leur logo tapageur. Des hommes et femmes, seul dans leur voiture, foncent sur une route qu’ils connaissent par cœur. Je me focalise sur les sommets verts et arrondis alentour et serre bien ma droite.

La Clusaz est une charmante bourgade, très proprette, dont on ne sort jamais ! Partout des chalets ont envahi les champs ; des gros chalets, récents voire encore en construction, de pierre et de bois dans un style trop « m’as-tu vu » pour se fondre dans le paysage. Sous les roues les kilomètres défilent doucement. Sur les côtés, les chalets cossus commencent à s’éparpiller. Il faut attendre les trois derniers kilomètres pour semer définitivement les dernières habitations qui grignotent toujours plus haut la montagne.

 

Quelques lacets tout bien proportionnés varient les points de vue et nous font gagner en altitude. La fin de la grimpée est plus douce et se termine sur un large plateau herbeux. Au col : deux restaurants, des drapeaux savoyards (le col des Aravis marque la frontière entre Savoie et Haute-Savoie) et une chapelle, sur son frontispice : Sainte-Anne prie pour les voyageurs. Merci Anne. Je ne suis pas certain que les chauffeurs des grosses voitures de sport allemandes aient eux besoin de prières… pour éviter de faucher un cycliste peut-être.

passage en Savoie au col des Aravis

Plongeon sur Flumet par une route sinueuse, les virages en épingle s’enchevêtrent, puis la trace s’enfonce dans un vallon étroit, ombragé et humide. Heureusement Flumet prend le soleil et je me réchauffe rapidement.

Sans transition, l’itinéraire enquille avec le col des Saisies. Un peu plus long, un peu plus haut que les Aravis, mais rien d’indomptable. La route s’extirpe du val d’Arly grâce à trois ou quatre lacets empilés les uns sur les autres. Ensuite, de la forêt. Des troncs et des feuilles comme seuls paysages et une route trop large. Alors mes pensées s’évadent pendant que mes pneus accrochent le bitume. À Notre-Dame-de-Bellecombe, je sème les arbres qui restent plantés là. Les panoramas s’ouvrent sur les sommets qui m’encerclent. En ce mois de juin en cette année particulièrement arrosée, tout est encore verdoyant, les prés sont fleuris, piquetés de jaune, de rose, de pourpre, d’orangé, de blanc.

Un replat suivi d’une courte descente font défiler les kilomètres. Hop ! La route s’évade sur l’autre versant et grimpe gentiment jusqu’à un plateau d’altitude dévoré par l’Homme et la station des Saisies. J’engloutis une poignée de petits roulés à la fraise et plonge dans le massif du Beaufortain.

le col des Saisies depuis Flumet

Droit devant, de hauts sommets gris rocaille zébrés de neige résiliente défient le ciel où bourgeonnent les cumulus. Puis je vire et me prends en pleine face, le Mont Blanc. Massif. Majestueux. Le géant d’albâtre resplendit au dessus de vertes montagnes nanifiées.

La plus haute montagne d’Europe porte bien son nom. Pièce-montée ronde et indolente, nappée d’une robe de mousseline crémeuse, de meringues nacrées et coiffée d’une crème fouettée légère. Un étalage de blancheur parsemé de quelques marbrures chocolat rappelant la nature rocheuse du Mont Blanc. Il domine les lieux de toute sa grandeur, d’une force impassible qui se dégage de sa masse gigantesque. Ni pointe acérée, ni aiguille pointue, ni arrête tranchante pour le Mont Blanc. Nul besoin. Le Géant des Alpes ne défie pas les cieux, il les habite. Les pics, les pointes, les sommets alentour qui ont eux délaissé leur parure hiémale sont réduits au rôle de faire-valoir agenouillés devant sa majesté.

le Mont Blanc

La descente du col des Aravis s’achève à Beaufort. Autre « station-village » pleine de vie qui a su préserver son charme et eut le bon goût de ne pas balafrer la montagne d’innombrables remontées mécaniques. Certains diront qu’il y en a déjà trop, néanmoins celles-ci se font plus discrètes que dans bien des stations tapageuses.

Bars, boulangeries, restaurants, supérettes, fontaines : tout ce dont peut rêver le cycliste vagabond sillonnant la France. Devant l’épicerie du village : une table, deux chaises. Le luxe. Je recharge mes batteries en victuailles et mes bidons en eau. Un gros morceau m’attend. Le Cormet de Roselend : 20 kilomètres, 1200 mètres de dénivelé positif. De quoi s’étrangler.

Je repars donc tranquillement pour environ deux heures d’effort jusqu’au col. Je ne l’ai encore jamais gravi, juste descendu une fois, et je me souviens avec une certaine inquiétude d’une interminable descente assez raide faite de longues lignes droites jointes par des virages en épingle le tout coincé dans une épaisse forêt aveugle… Rien de très réjouissant.

Une première partie roulante remonte le défilé d’Entreroches, flanqué de deux grandes parois boisés. Mais cela ne dure pas. Rapidement se dresse devant mes roues un immense mur végétal, un gigantesque camaïeu de vert qui semble infranchissable. Au milieu de tout ce feuillage cingle la bande de bitume. Et mes souvenirs s’avèrent malheureusement trop précis. La descente m’avait paru longue. Ce n’était rien comparé à la grimpée.

la loooonnngue grimpée au col du Mérailler

Les kilomètres s’étendent et s’allongent et s’égrènent laborieusement au fil des coups de pédales faiblards et les mètres de dénivelé tombent un à un non sans opposer chacun un rude combat et la fatigue m’assaillent et l’ennui me guette et les voitures de sport allemandes me frôlent dans un raffut de tout les diables à coups de diesel et d’accélérateur, je voudrais faire une pause reprendre un peu de force mais rien ne s’y prête alors je courbe l’échine et me meus mètre après mètre jusqu’au col du Mérailler, sous-fifre du Cormet de Roselend.

Connaissant cette partie des Alpes françaises, je savais que, passé le col du Mérailler, une poignée de kilomètres descendant m’attendait avant d’affronter les dernières pentes du Cormet de Roselend. Au Mérailler, je m’accorde une pause salvatrice et longuement attendue avec une vue incroyable sur le lac de Roselend. Un joyau bleuté dans un écrin de verdure, orné d’une petite chapelle mignonnette sur le versant.

le lac de Roselend, récompense méritée © Fab__Rides 📷

Après cette courte accalmie, la route s’infiltre dans une échancrure rocheuse, une faille creusée au fil des siècles par le nant des Lautarets qui bondit entre les falaises et face à celle, très photogénique, du roc du Vent. Puis on entre dans une nouvelle pièce. Une prairie alpestre. Prés piquetés de fleurs sauvages, méandres d’eaux cristallines, petit pont de pierre ancestral. Là haut, les sommets bardés de neige. Splendide.

la route est superbe, du Mérailler au Cormet de Roselend © Fab__Rides 📷

Panneau du Cormet de Roselend, une ligne d’arrivée et une victoire toute personnelle d’avoir achevé cette grimpée longue et redoutable. La descente est tout ce qu’un cycliste peut rêver de mieux. La route se rétrécit, tournicote, s’insinue dans un vallon sauvage. L’étroite langue de bitume est bien la seule trace humaine. Je me délecte et me laisse dériver jusqu’à Bourg-Saint-Maurice. Nouveau plein de sucre comme d’autres font le plein d’essence et je pars pour Val-d’Isère, dernier effort de la journée.

le Cormet de Roselend

descente sur Bourg-Saint-Maurice

Le but est d’atteindre la célèbre station de ski ce soir pour s’attaquer directement le lendemain aux dix-sept kilomètres de l’Iseran au petit matin. Une voie cyclable me dépose juste avant Sainte-Foy-en-Tarentaise, au pied de la montée de Val-d’Isère, aux portes de l’Enfer ! Vingt bornes de montée interminable sur une grosse route où foncent voitures de sport et camions de chantier. Aucun aménagement cyclable. Aucun plaisir. J’en ai plein les pattes, je me traîne, j’ai chaud et je mets mes dernières forces dans la bataille pour que ce moment désagréable et dangereux cesse au plus vite.

La route s’aplanit. Enfin. Encore quelques tunnels infernaux mal éclairés et humides puis Val-d’Isère. Haut lieu du ski alpin. Verrue plantée au cœur d’une vallée somptueuse. Pas grand-chose d’ouvert l’été venu, surtout au mois de juin. Une crêperie honorable aux tarifs avalins et un camping lui économique suffiront à mon bonheur. Je m’écroule sur mon matelas… avant que la pluie ne tambourine ma toile de tente et ne me réveille… La nuit sera agitée.

 

Jour 3 : Val-d’Isère ➜ Briançon

cols : Iseran, Télégraphe, Galibier

dénivelé : +3300 m cumulés

distance : 170 km

Les chaînes de montagnes sont des frontières physiques naturelles percées de points de passage plus ou moins accessibles, plus ou moins hauts. Les cols sont les portes d’entrée de royaume cernés de hautes murailles. Des seuils séparant deux contrées, deux peuples, deux nations, deux États.

Deux portes mythiques au programme du jour : le col de l’Iseran, le plus haut col routier d’Europe, et le Galibier, légende du Tour de France. À la sortie de Val-d’Isère, cette borne kilométrique : « col de l’Iseran : 15 km ». C’est parti sans échauffement pour l’ascension du plus haut col routier d’Europe qui tire son nom du ruisseau qui dévale ses pentes rocailleuses côté Tarentaise : l’Isère. Le pas se dresse entre deux contrées, deux peuples à l’hostilité légendaire : Tarins et Mauriennais. Les uns comme les autres se targuent de vivre dans la plus jolie vallée. Je ne me risquerai pas à prendre partie.

 

La grimpée au col de l’Iseran depuis Val-d’Isère est inversement proportionnelle à la laideur de la montée sur Val-d’Isère depuis Sainte-Foy-en-Tarentaise. Les premiers rayons de soleil se déversent sur les sommets alentour qui se parent d’ocre et d’orangé. Le fond de vallée où se love le torrent – et la route – est tapi dans l’ombre. La fraîcheur matinale réveille le cœur, les jambes, le corps. Je me gorge d’un panorama délicieux, calme et sauvage. Les marmottes m’encouragent de leurs cris perçants. L’une d’elles, plus insolente, plus téméraire, gambade devant mes roues avant de s’enfouir dans les gras herbages. L’Isère, la large rivière qui se jette nonchalamment dans le Rhône des centaines de kilomètres plus en aval n’est encore ici qu’un jeune torrent fougueux, gonflé de neiges fondues, qui dévale les prés et les roches.

le col de l’Iseran, magnifique au petit matin

La pente n’est pas trop rude et je me sens bien en ce troisième jour de route. Les kilomètres s’égrènent régulièrement sous les coups de pédales version métronome. En contre-bas, niché au fond de la vallée, la verrue de verre et de béton s’éloigne. J’aperçois le camping et me réjouis du dénivelé avalé. Quelques traces rappellent que les lieux ont été conquis par le Dieu Tourisme venu pour l’or blanc. Téléphérique, télésièges, téléskis et travaux en cours pour satisfaire au mieux le client. Comprennent-ils qu’ils scient la branche sur laquelle ils font profit ?

l’arrivée en Tarentaise signe l’arrivée en haute-montagne

Je poursuis mon ascension avec une régularité apaisante. J’ai délaissé les forêts et les derniers bosquets il y a plusieurs bornes, je délaisse maintenant les dernières prairies peuplées de marmottes, j’entre dans un nouvel univers, dans une autre dimension. Jusque là très verdoyante, la traversée se pare ici d’une robe minérale. Entrelacs de pierriers grisâtres, de neige de printemps mouchetée et de pics d’albâtre au garde-à-vous.

 

L’herbe et le souffle se font court. L’allure diminue. Le métronome ralentit. Les derniers kilomètres sont difficiles. Les murs de neige m’ébahissent. L’ancien hôtel du col, vaisseau fantôme d’une autre époque surgit à l’horizon et me réjouit. Le col est là. Un pas de plus de franchi, une petite victoire. Chaque col en est une. Pour aller loin, se fixer des objectifs modestes, et les enchaîner.

2714 mètres. Je ne le sais pas encore mais ce sera bien le point culminant de mon périple alpin. Et de toute façon, même si la cime de la Bonette (qui n’est pas un col et qui était fermée le jour de mon passage) le dépasse de quelques mètres, l’Iseran est pour moi l’acmé de la traversée, un point de bascule. Peut-être car je le franchi le troisième jour, à mi-parcours ; peut-être car après l’avoir escaladé je me dit que rien ne pourra plus m’arrêter ; peut-être car je voueau col de l’Iseran une admiration béate ; peut-être pour aucune bonne raison. Toujours est-il que si les premières chaleurs écrasent les plaines, ici le printemps pointe à peine le bout de son nez sous les dernières couches de neige.

le col de l’Iseran, encore bien enneigé à la fin juin © Fab__Rides 📷

Changement de contrée. Passage en Maurienne. Ce versant est tout aussi splendide. La route est en mauvais état à cause du gel et dégel et invite à la prudence mais les panoramas sont enchanteurs. Le bitume fonce droit à flanc de montagne, enjambe la Lenta, s’insinue entre les parois rocheuses sous l’œil de l’Albaron et du Charbonnel, tient en équilibre à même la falaise, se torsade en quelques longs lacets, se prélasse dans les herbages et débaroule dans Bonneval-sur-Arc.

descente sur la vallée de la Maurienne

Village classé, Bonneval-sur-Arc est labellisé comme l’un « des plus beaux de France ». Le titre, parfois galvaudé, est ici amplement mérité. Ne passez pas ici sans faire une halte au cœur de ce hameau pittoresque. Maisons de pierre, toits de lauze. Un peu trop « carte postale » diront certains, un peu trop propret peut-être aussi, mais tellement charmant.

Bonneval-sur-Arc puis les forts de la barrière de l’Esseillon, à Aussois

Après Bonneval-sur-Arc, une longue, très longue, portion descendante vous attend jusqu’à Saint-Michel-de-Maurienne. 57 kilomètres ! Quelques ressauts ça et là : le petit col de la Madeleine et la bosse de Saint-André (passage obligé depuis l’éboulement qui a condamné la route nationale en contrebas) vous demanderons quelques efforts, mais à part ça, il n’y a qu’à laisser couler. Même avec un vent contraire remontant la vallée, les bornes défilent. Et tant mieux car la route n’est pas agréable du tout, surtout après Modane.

La suite de la journée est copieuse avec l’enchaînement col du Télégraphe et col du Galibier. Un classique et un deuxième géants des Alpes en une journée. Une étape de glouton ! Les douze bornes du Télégraphe entameront mes forces. Les dix-sept du Galibier les finiront.

Rude, pentu, aveugle, le Télégraphe n’est pas une sinécure. Pour en rajouter une couche, il y a toujours pas mal de trafic sur ce col qui permet d’accéder à Valloire et sa station. Je viens à bout de la grimpée sans beaucoup de plaisir. L’ascension fut longue et laborieuse, ennuyeuse aussi dans cette forêt sans vues. Je recharge le bonhomme à base de soda au col sans trop traîner.

le col du Télégraphe, passage obligé avant le Galibier

J’aurais sans doute dû traîner plus longtemps et mieux recharger les batteries. Je sens vite que gravir le Galibier sera une épreuve. Je connais bien le col que j’ai déjà franchi de nombreuses fois, mais savoir à quoi m’attendre ne m’aide pas, au contraire. Des souvenirs douloureux de défaillance sur ses pentes me reviennent en mémoire. En hypoglycémie, la grimpée fut un vrai calvaire ce jour-là, obligé de m’arrêter plusieurs fois, à bout de force, assommé par la chaleur. Cette fois il ne fait pas trop chaud mais les bagages pèsent.

J’avance comme je peux et me gargarise des paysages alentour : sommets, pics, arêtes, pentes sauvages, herbes rases, chaos rocheux, névés givrés. Une marmotte à l’embonpoint marqué a l’outrecuidance de me dépasser, elle galope de gauche et de droite, me coupe la route et rejoint son terrier. Moi, j’ahane péniblement sur ma machine, tel un escargot, ma coquille arrimée à mon cintre, et, comme le gastéropode, je ne galope pas. Je me traîne.

le col du Galibier se couvre de nuages © Fab__Rides 📷

De lourds nuages fuligineux s’amoncellent sur les pics enneigés. Une faible lueur sépulcrale se déchiquette sur les parois rocheuses. Je scrute les bornes placées indiquant le kilométrage restant et l’altitude. Puis je lève les yeux au ciel et calcule de façon bien approximative le temps qu’il me reste pour venir à bout de l’ascension. La course avec l’orage qui menace a débuté… et je ne peux accélérer l’allure. Au niveau de la célèbre bergerie, dans les passages les plus raides, j’arrache chaque mètre au bitume et savoure chaque mètre de dénivelé gravi. Je suis éreinté par l’épreuve, fourbu par cette bataille mais tiens bon.

 

Le sommet est en vue, il se rapproche, lentement mais sûrement. Le ciel est de plus en plus noir. De gros paquets de nuages s’agglutinent au dessus de mon casque. Trois, deux, un kilomètre. Les derniers lacets. Rudes. Raides. Le col. La délivrance. Un bonheur simple, léger, m’envahit. Je souris béatement. La bataille fut longue et ardue. La fierté n’en est que plus grande.

un rayon de soleil perce les nuages © Fab__Rides 📷

Nouveau col et nouvelle frontière. Savoie, Auvergne-Rhône-Alpes, versant nord. Bascule sur le versant sud, Hautes-Alpes, Provence-Alpes-Côte d’Azur. « Provence », « Côte d’Azur », des titres qui sentent le sud, le soleil, la mer. Doux sentiment de toucher au but. La moitié du périple est bien franchie… même s’il faudra encore attendre pour le ciel d’azur et la douceur provençale.

L’éponge grisâtre qui sert de ciel n’a pas été essorée. Je pense encore avoir une chance d’atteindre Briançon au sec. J’enfile tout l’attirail d’une sortie hivernale : jambières, gants longs, manchettes, veste coupe-vent, tour de cou… et file fendre la bise.

Il ne me reste qu’une poignée de kilomètres à avaler grand train lorsque de grosses gouttes s’écrasent sur mon cintre. L’ondée est brève mais foudroyante. Elle transperce mes frusques en un instant. Et un instant plus tard les nuages s’enfuient. Le soleil règne de nouveau. Je me pose à la terrasse du P’tit Zinc et en profite pour me débarrasser de mes oripeaux détrempés de cycliste errant. La pizza géante (40 cm !) ne résiste pas longtemps à mon estomac affamé par une longue journée de bicyclette. Si vous faites halte à Briançon, je vous conseille vivement ce troquet.

ruelle de la vieille ville Briançon et… pizza géante !

 

Jour 4 : Briançon ➜ Saint-Étienne-de-Tinée

cols : Izoard, Vars, Bonette

dénivelé : +4000 m cumulés

distance : 140 km

La veille, passé le col du Galibier, je m’étais laissé glisser paisiblement, presque sans un coup de pédales, bercé par le crincrin de la roue libre et admirant passivement le paysage d’un œil fatigué. Ce matin, en abordant l’Izoard, le sud m’envahit. Les mélèzes ont reverdi, les roches ocres affleurent, bientôt les criquets stridulent et les chaleurs m’assaillent.

Dès les premiers hectomètres, les vues sont grandioses et dégagées. Une carte postale à chaque lacet. Une entame magnifique mais coriace, avec de beaux pourcentages, puis la pente s’adoucit et les kilomètres filent. Les jambes tournent et le mental revient après avoir été sabordé par un panneau indiquant « sommet : 19 km ».

La route sillonne les gorges où jaillit la Cerveyrette. Les flots dégringolent bien plus vite que je ne monte la pente. Puis les portes s’ouvrent sur un large cirque verdoyant. Les deux pointes des deux clochers du hameau de Cervières dardent le ciel à la manière des pointes sommitales. Je fais l’effort de rattraper un groupe de cyclistes juste devant moi. Ils sont partis du village de Cervières et attaquent le col à froid. Nous papotons de nos périples, rompant pour quelques minutes la monotonie du voyage en solitaire.

panorama de cartes postales sur les pentes du col d’Izoard

Mais la rudesse de la pente a vite fait de disloquer le groupe. La route pénètre une forêt clairsemée de mélèzes où une enfilade de lacets serrés permet de gagner rapidement en altitude et de relancer la machine. Les cyclistes parsèment la grimpée et offrent des points de mire qui m’aident à avancer.

Déjà plus que quatre kilomètres. Puis trois. Puis deux. Là-haut, au-dessus d’une poignée de lacets enlacés tels un serpent à sonnette : le col d’Izoard. Autour de moi : des remparts, des tourelles, des créneaux. Des aiguilles acérées et dénudées, des parois gris acier qui scient le bleu du ciel non sans rappeler les Dolomites.

le col d’Izoard, bienvenue dans les Alpes du « sud » © Fab__Rides 📷

Au passage du col, un vent chaud souffle et m’assèche le gosier. Après le cliché du touriste sous le panneau de l’Izoard, je plonge dans une descente tout aussi merveilleuse que la montée. La Casse Déserte en point d’orgue. Les portraits gravés de Louison Bobet et Fausto Coppi ont une vue imprenable sur ce chaos rocheux, ferreux et rougi. Un cycliste s’échine à remonter la pente, rapetissé par cette immensité de pierre.

la mythique Casse Déserte © Fab__Rides 📷

La longue descente dans le massif du Queyras descend dans la chaleur estivale jusqu’en haut des gorges du Guil qu’on longe sans trop forcer jusqu’à Guillestre. Se rendre au centre historique implique un petit crochet et une grimpette pour revenir accrocher la route du col de Vars. J’hésite un instant mais il est encore tôt et opte donc pour l’enchaînement Izoard/Vars en espérant pouvoir manger au col.

les gorges du Guil

Le col de Vars est l’un des quelques cols de cette traversée que je n’ai jamais gravi à vélo. Le panonceau « Sommet : 19 km » au pied de la montée me coupent les jambes… je ne l’imaginais pas si long. Le soleil cogne fort en cette fin de matinée. Après quelques hectomètres, une fontaine bienfaitrice permet de faire le plein d’eau. Je m’asperge la nuque, le visage, le crâne et reprend ma marche en montant.

La végétation est plus rase que les jours précédents, d’un vert plus pâle aussi. Les panoramas sont dégagés et quelques grandes courbes dans les prés jaunis offrent différents points de vue. Le paysage barré de hautes montagnes en jette mais les camions de chantier vrombissants accompagnés de motos pétaradantes gâchent le décor. Les travaux plus haut dans la station de ski de Vars explique ce défilé bruyant. Le charmant village de Saint-Marcellin et sa fontaine – joie et bonheur – égaye cette grimpée un brin monotone et surtout trop encombrée.

les premiers larges lacets du col de Vars

Les rampes les plus sévères sont abordées dans la station de Vars où le bitume vient d’être refait (en 2024). Un vrai billard qui aide un peu à franchir les plus forts pourcentages. Une fois la station passée, il ne reste qu’une flopée de kilomètres, les plus beaux. Les camions se sont rangés à la station. Place au calme. Les pentes sont douces sur cette fin de montée et il est possible de savourer le paysage sans trop s’échiner. Le refuge Napoléon apparaît dans un étal de verdure avec vue sur un lac de montagne aux teintes bleu-vert. Un petit étang aux eaux opalescentes reflète les sommets environnants. Le col de Vars dévoile ses atouts en fin de manche. Dommage que cette beauté soit compactée sur une poignée de kilomètres.

Au col, une autre frontière, un autre palier est franchi. Le tracé quitte les Hautes-Alpes pour les Alpes-de-Haute-Provence. La côte se rapproche. Le resto-refuge ne prend pas la carte bleue et j’ai fait l’erreur de ne pas retirer de liquide… J’avale une barre de céréales et quelques fruits secs et file sur Jausiers en croisant les doigts pour trouver un troquet ouvert en début d’après-midi.

les derniers kilomètres du col sont aussi les plus beaux

Côté Ubaye, le paysage comme la pente sont beaucoup plus sauvages ! L’unique route étroite virevolte sur ce versant. J’engloutis cette gourmandise de descente avant de glisser jusqu’à Jausiers, au pied du col de la Bonette. Un gros morceau qui pourrait s’avérer bien indigeste après les cols de l’Izoard et de Vars.

Jausiers respire le sud. La chaleur est écrasante. Les rues silencieuses. La supérette n’ouvre qu’à 16 h et je suis donc bien heureux de trouver un snack ouvert : La Pivoine Givrée. La focaccia est délicieuse, la limonade apporte son lot de sucre bienfaiteurs. Je m’accorde une longue pause, d’une heure environ. En discutant avec un cycliste du cru autour d’un café, j’apprends que la boucle rejoignant la Cime de la Bonette – la route goudronnée la plus haute d’Europe – est encore fermée en cette fin juin. Le toit de cette traversée sera donc bien pour moi le col de l’Iseran, franchi la veille. Même sans se rendre à la Cime, le col affiche 21 kilomètres ! Effrayant.

vue gourmande au col puis à la Pivoine Givrée à Jausiers

Tous les cols sont différents et il serait bien difficile d’établir un classement, même subjectif, des plus beaux. Mais la Bonette figurerait très certainement en bonne place dans mon classement personnel si je devais en faire un.

Les paysages sont variés, la route est belle, la pente soutenue mais jamais trop rude et, cerise sur le gâteau, plusieurs points d’eau permettent de se ravitailler quand les rayons du soleil vous harassent. Le torrent de la Clapouse rythme la montée. Là, le cours d’eau méandre dans un alpage. Ici, il sourde d’une faille et cascade dix mètres plus bas. La Clapouse clapote, rugit, roucoule entre les joncs. L’atmosphère est calme et sereine. Je chemine de prairies en vallon, gravis quelques lacets sous les sifflements des marmottes. Soudain, la route transperce une muraille et l’ambiance bucolique devient lunaire. Les crêtes pierreuses et sommets ronds et enneigées m’encerclent. Je cherche la route des yeux mais mon regard se perd dans ce dédale de roches et de névés. L’itinéraire contourne finalement un lac d’altitude lové dans ce chaos puis s’élève à la faveur de quelques épingles sur un mamelon pour atteindre le col de Restefond et ses baraquements militaires échoués là, vestiges d’une autre époque, mémoire d’une bataille moins glorieuse que celle d’un cycliste solitaire contre les pourcentages.

univers verdoyant…

Le col de la Bonette est maintenant en vue. La route suit la ligne de crête, dessinant une interminable courbe jusqu’au passage du col. Je suis éreinté, fier et heureux d’avoir atteint le sommet. Les vues sont encore une fois splendides, mais à 2715 mètres, en fin d’après-midi, autant dire que le thermomètre ne passe pas la barre des 10°C. Choc thermique entre la vallée étouffante et le col venté. Je m’équipe en conséquence et dégringole plusieurs centaines de mètres de dénivelé en quelques minutes. Une lumière crépusculaire se déverse sur les monts et les prés, les ombres s’agrandissent, les roches se parent d’ocre et d’orangé.

…puis univers minéral

L’étape se termine par une longue et belle descente au creux de la Tinée. Les jambes sont lourdes mais les coups de pédales peuvent être délicats sur cette portion descendante. Saint-Etienne-de-Tinée. Camping municipal. Un spot idéal pour faire halte, même en été, même sans avoir réservé. Le camping possède un carré d’herbe que les gérants gardent pour les cyclistes et randonneurs de passage pour la nuit. Une idée remarquable tant il peut être parfois difficile de prévoir ses étapes à l’avance et surtout de s’y tenir face aux aléas de la météo et de l’état physique.

Pique-nique de luxe : tomates, ricotta, taboulé, yaourt. Bavardages avec un couple de cyclistes baroudeurs anglais qui habitent désormais Briançon. Je m’écroule sur mon matelas et sombre rapidement dans les bras de Morphée. Demain, dernière étape, longue mais moins difficile jusqu’à la mer. Cette fois, ça y est : Nice est à portée de roues.

 

Jour 5 : Saint-Étienne-de-Tinée ➜ Nice

cols : Saint-Martin, Turini, Castillon, Eze

dénivelé : +3200 m cumulés

distance : 163 km

La Grande Bleue, la fin du périple de cette traversée des Alpes français à vélo en 5 jours. Là. Toute proche. Je m’élance bercé par une douce euphorie et glisse délicatement le long de la Tinée. Les températures sont encore fraîches et vivifiantes au fond de cette vallée encaissée parée de montagnes dévorées de verdures. L’imaginaire mouline et me transporte dans un pays tropical à la végétation dense, luxuriante et humide.

Puis la vallée devient gorge. La Tinée, engoncée dans une gangue de roche qu’elle a sculptée elle-même poursuit son travail d’érosion. Ses flots tumultueux creusent, raclent, polissent les parois rougeâtres de ce canyon. La route serpente accrochée à ces falaises.

le Laos ? Non, la vallée de la Tinée

Les 30 premiers kilomètres, tout en faux-plat descendant, défilent sans peine et soudain, bim, la route bifurque à gauche toute. Virage à 180° et c’est parti pour le col Saint-Martin, en direction de la station de la Colmiane. Une grimpée souvent gravie par les pros lors de Paris-Nice, la « course au soleil », qui se termine traditionnellement sur la Promenade des Anglais… tout comme cette traversée. La côte d’Azur se rapproche kilomètre après kilomètre même si le tracé, qui suit plus ou moins un chemin de crête, n’est absolument pas le plus court. Il reste encore 130 bornes à parcourir par le tracé officiel de la Route des Grandes Alpes alors qu’un panneau routier indiquait « Nice : 60 km » au pied de la montée de la Colmiane. Mais cet itinéraire direct serait bien monotone et finirait par des routes peu fréquentables à vélo.

Le col Saint-Martin : une grimpée longue de 16 bornes mais plutôt roulante. Comparé aux pros sur Paris-Nice, je me traîne lamentablement, mais je suis très personnellement assez content du rythme que je parviens à maintenir sur cette dernière journée, après avoir enquillé près de 500 km et plus de 15000 m de D+ en quatre jours. Les guibolles tournent allègrement, sans trop de douleurs. Mon esprit vagabonde. Je pense à Nicolas Bouvier, si juste quand il parlait d’érosion du corps et de l’esprit en voyage. Certes ses périples étaient autrement plus impressionnants. Mais en quelques journées de bikepacking, mon corps s’est érodé, mes jambes se sont affûtées, mon esprit s’est poli, limé par les kilomètres, poncé par le dénivelé, mes tracas de la vie se sont effeuillés au fil des cols, emportés par le vent et les efforts. Le quotidien du clochard céleste est simple et beau : avancer, se nourrir, avancer encore, dormir, recommencer. En quelques jours il occulte le train-train quotidien ennuyeux et déprimant.

le col Saint-Martin ou de la Colmiane

J’avance sous un franc soleil. Alimente le moteur en pâte de fruit. Le relief est tapi de forêts vertes foncées. Un petit replat permet de reprendre son souffle après une entame de col soutenue. Puis la pente se cabre à nouveau dans le pittoresque village du Planet.

Je reviens doucement sur un cycliste, mètre après mètre, cela réveille mes instincts de compétiteur et me motive. Je me fais violence pour en garder sous le pied, la journée ne fait que commencer, elle est encore longue et escarpée. Mais à cet instant, voilà que le bougre se retourne, me voit et accélère légèrement l’allure. Je me prends au jeu un moment et appuie plus fort sur les pédales. Puis me raisonne. Le jeu n’en vaut pas la chandelle. À lui la satisfaction de reprendre ses distances, de ne plus me voir dans le rétro et de finir devant.

fin de l’univers minéral, place aux denses forêts

À travers la forêt, au dessus des houppiers, par delà la cime des arbres sortent de gros cubes de béton improbables : la minuscule station de ski de la Colmiane ! Difficile de croire que l’on puisse skier ici. Le col n’est pas très haut en altitude, encerclé de forêts épaisses et il fait une chaleur incroyable le jour de mon passage.

Ravitaillement à la fontaine. Photo au col. Et zou ! Bascule en Vésubie, de gigantesques vagues verdoyantes ourlent l’horizon. Quelques lacets et panoramas plus loin, la route tombe sur Saint-Martin-Vésubie, en plein travaux après une crue récente qui fit remonter à la surface la tragédie de 2020. Cet été là, la Vésubie montra toute sa puissance dévastatrice, gonflée par les pluies torrentielles, elle déborda largement de son lit, arracha ponts, routes et maisons. La rivière se fit meurtrière, sans une once de colère ou de méchanceté, et rappela bien tragiquement la petitesse de l’homme. La vallée meurtrie panse encore ses plaies à coups de pelleteuses et de bétonnage afin de contenir le cours d’eau à l’avenir. Mais ne faudrait-il pas aller davantage dans le sens de l’eau ?

 

Retour à la route. Le tracé à travers le massif du Mercantour suit la Vésubie en direction de Nice. Mais une nouvelle fois la route bifurque pour emprunter un chemin de traverse et gravir le col de Turini. Un toponyme qui sent bon l’Italie, toute proche. Après quelques rampes assez pentues accrochées à la falaise, le paysage s’ouvre sur une nouvelle vallée pour rejoindre La Bollène-de-Vésubie, un joli patelin à califourchon sur une épaule boisée. La pente est alors moins sévère et plutôt régulière, je prends mon rythme et appuie même un peu plus fort que d’habitude, le Turini est le dernier « grand » col de la traversée, je sens l’écurie et me permets d’accentuer l’effort.

Malgré ses bons 16 kilomètres, la grimpée ne s’éternise pas. En haut, fontaine, restaurant, motards et un paquet de cyclistes ; en sortie journalière depuis Nice ou Menton, en périple bikepacking sans assistance ou avec voiture suiveuse. Je profite du soleil en terrasse, la chaleur est encore agréable, et savoure cette fin de voyage.

vue sur La Bollène-de-Vésubie avant le col de Turini

Descente côté Sospel. L’un des versants les plus sauvages, filant dans une forêt de pins cembros. La descente se prolonge langoureusement, alternant replat roulant et pentes plus abruptes. Les criquets et les grillons et la roue libre cymbalisent en chœur, les effluves de pin parfument les tours de pédales. Une chapelle plantée en équilibre sur une crête marque un nouveau palier, j’ouvre la porte. Derrière se cache une gorge serrée et une descente gourmande, généreuse, toute en courbes délicatement enroulées. La langue de bitume s’enlace et se délace devant mes roues.

descente sur le joli bourg de Sospel © Fab__Rides 📷

Sospel. Petit village typique du sud. Maisons de pierres claires, petites rues pavées, platanes ombrageux et personnages locaux indolents qui s’arrêtent en plein sur la chaussée pour aller chercher la baguette et le journal. Je trouve mon bonheur dans une boulangerie pour la pause déjeuner. Un peu de gras, un peu de sucre, un peu de caféine et c’est reparti par un énième col : le col de Castillon. Rien d’effrayant : 5 à 6 kilomètres à 4 ou 5 % de pente moyenne. Des pourcentages qui me sied à merveille, le poids des sacoches se fait moins sentir sur ce type de pente et les jambes tournent incroyablement bien. J’appuie fort. La ligne finale se rapproche.

Pas de bornes kilométriques pour se repérer, la route louvoie en grandes courbes et soudain, un panonceau : Col de Castillon. Si les cols sont des portes imaginaires entre deux univers, ici il s’agit d’un tunnel bien réel, un vortex permettant d’accéder à un autre monde : la Côte d’Azur. Le bleu scintillant de la Méditerranée contraste avec l’obscurité du tunnel. Le bleu de la mer se mêle au bleu du ciel. La vue est furtive, mais la Grande Bleue se dévoile pudiquement à la point d’un V formé par les montagnes qui plongent dans la mer.

mer en vue !

Descendre à la mer. Au sens propre comme au sens figuré. Route large. Bitume parfait. Et arriver dans le trafic de Menton. Je me faufile entre les files de voitures et les lignes de bus jusqu’au bord de mer. Une robe azurée et scintillante qui s’étend à perte de vue. Une énorme satisfaction s’empare de moi. Je souris benoîtement en admirant la Grande Bleue qui étale sous mes yeux ébahis ses eaux étales. Quel parcours ! Que de chemins parcourus. Que de cols arpentés. Que de kilomètres avalés. Et en quelques jours avec ça.

Hier encore : le col de la Bonette, désertique, sauvage, venté, enneigé. Aujourd’hui : la Côte d’Azur, urbanisée, chaude, encombrée. Hier : les gants longs, les jambières, le sous-casque, la veste d’hiver et pas un pelé. Aujourd’hui : le cuissard court, le maillot ouvert en grand, les foules en maillot de bain sur le sable brûlant.

La route pourrait s’arrêter là. Les Alpes ont été franchies après tout. Difficile de poursuivre plus loin sur un axe nord-sud suivi bon gré mal gré jusque là. Je vous conseillerais même de planifier votre arrivée ici si vous suivez cet itinéraire. Si c’était à refaire, je choisirais un autre tracé pour finir à Nice.

la Grande Bleue © Fab__Rides 📷

Mais la trace historique, originelle, sinon officielle, passe par Menton et prolonge ensuite jusqu’à Nice par un dernier tronçon bien peu agréable. Direction La Turbie par une horrible route avec énormément de trafic et le sentiment détestable que les automobilistes n’ont que faire de vous et votre foutu vélo, à 15 km à l’heure. Pourtant j’appuie fort pour que cet enfer passe le plus vite possible, mais la bosse n’en finit plus !

Certains souligneront les vues sur la mer. Je ne vois qu’une côte bétonnée, les immeubles monégasques qui dégueulent sur l’eau, l’autoroute qui surplombe le paysage, les voitures qui me passent sans discontinuer. Giratoire. Direction Eze et son col éponyme. Ouf ! La route en balcon est moins chargée, un peu à l’écart de la frénésie côtière. Les panoramas sont aussi moins tapageurs, plus bruts, avec ces falaises, ces pins et ce bleu pailleté en toile de fond.

Col d’Eze. Le tout dernier col de la traversée. Nice étend ses tentacules en contrebas. Cette fois, ça y est. La fin du voyage. La fin d’une petite semaine hors du temps, hors du monde qui valse à cent à l’heure. La route file droit en pente raide jusqu’au port et la célébrissime Promenade des Anglais. Je savoure l’instant. Pose ma monture sur les galets polis par les vagues et plonge mon corps érodé par le voyage dans l’immensité bleue.

Nice ! Promenade des Anglais

 

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