C’est à la faveur de l’opportunité d’un séjour en Vénétie que j’ai découvert Padoue. Mes hôtes nous avait fait une visite nocturne le temps d’une soirée. Un aperitivo que je poursuivrai 15 années plus tard, lors d’une journée-étape d’un road-trip en Italie du Nord. Méconnue pour le tourisme obnubilé par Venise la Sérénénissime, Padova n’en est pas moins célèbre pour sa prestigieuse université et ses deux basiliques. Par ailleurs, j’y suis allé en particulier pour observer dans la Chapelle Scrovegni le chef-d’œuvre de Giotto.
Le centre de Padoue
Originellement, le centre historique s’est établi dans le coude du canal reliant les rivières Bacchiglione et de la Brenta. C’est ici qu’on trouve les principaux lieux d’intérêts de Padoue avec des palais, églises, places et ruelles animées. Néanmoins, l’essentiel se tient autour du Palazzo della Ragione et du Prato della Valle. Ainsi, on peut organiser méthodologiquement son parcours en suivant un axe partant des Giardini dell’Arena jusqu’à la Basilique Sainte-Justine, passant par les Piazze Garibaldi et Cavour et descendant la piétonne Via Roma. Globalement, visiter Padoue en un jour ou deux est suffisant pour voir les incontournables et découvrir les principaux lieux d’intérêt touristiques.
Si les places Garibalbi et Cavour ne présentent par un intérêt particulier, j’ai quand-même été interpellé par la façade d’un bâtiment accourant différents styles architecturaux (gothique et néo-classique). Il s’agit du Caffè Pedrocchi. L’intérieur de ce café-restaurant est tout aussi élégant avec piano, marbre, miroirs et colonnes.
Juste à côté, le Palazzo Moroni qui est aujourd’hui l’actuel Hôtel de Ville de Padoue. Il est possible de visiter le bâtiment mais je ne l’ai pas fait. En face, le Palazzo Bo abrite la très renommée Université de Padoue. Fondée en 1222, elle est l’une des plus anciennes d’Italie après celle de Bologne et a accueilli les illustres astronomes Galilée et Copernic, anatomiste André Vésale, écrivain et poète Albertino Mussato, artiste et historien Leon Battista Alberti…
Mais parmi les places les plus attrayantes de Padoue, la Piazza dei Signori vient sans doute en tête. Elle condense tous les charmes d’une place italienne : un sol pavé, des façades ocre, des arcades, une église, des palais, une loggia, un marché le matin remplacé ensuite par des terrasses de café et restaurants… Mais l’élément remarquable ici est la Torre dell’Orologio. Placée sur un arc de triomphe les Palazzo del Capitanio et Palazzo dei Camerlenghi, elle se distingue par sa grande horloge. Cette dernière rappelle évidemment celle de la Place Saint-Marc, située juste à 40 km d’ici (du reste, on retrouve le Lion ailé vénitien). Construite en 1437, elle fonctionne encore avec ses mécanismes d’origine. Sur le cadran bleu et or sont indiqués les heures, les jours, les mois, les phases de la Lune et les signes astrologiques. (plus d’informations sur ce blog)
Juste derrière, la Piazza Duomo ne présente pas d’intérêt particulier en tant que tel sinon quelques terrasses ensoleillées l’après-midi. Il s’agit néanmoins de la place sur laquelle se dresse la Cathédrale de Padoue.
Deux places se situent de part et d’autres du Palazzo della Ragione, la Piazza delle Erbe au Sud et la Piazza della Frutta au Nord. En arrière-plan, la Torre degli Anziani de style roman date du XIIIe siècle. Vous l’aurez compris, des étals de produits frais se tiennent ici tous les matins sur les “place aux herbes” et “place aux fruits” (celle-ci est davantage consacrée aux vêtements aujourd’hui). Les prix sont très accessibles et ça a été un vrai délice pour faire le plein de vitamines ! Et puis ça change des pizzas et des glaces… Les deux places offrent une large vue sur le bâtiment et son impressionnante toiture tandis que les arcades abritent les commerces en dur du marché.
Le Palazzo della Ragione
Cet énorme palais est l’édifice non-religieux le plus remarquable de la cité. Construit entre 1172 et 1219, il devait être le symbole de l’émancipation de Padoue de la domination germanique. Le “Palais de la Raison” était alors le siège de l’administration et de la Justice, mais aussi le lieu des échanges commerciaux (d’où les marchés autour encore à notre époque). Depuis l’administration municipale a migré dans le Palazzo Moroni mais, comme un hommage à l’histoire, l’ensemble est encore relié. Originellement, l’architecture du bâtiment consiste en un parallélépipède sur deux étages, l’immense toit en forme de carène et les loges latérales ont été rajoutés en 1303-1306.
la Piazza della Frutta et le Palazzo della Ragione © L’Oeil d’Édouard / Instagram 📷
L’intérieur du Palazzo della Ragione se visite (7€, pas de file d’attente) mais, en fin de compte, seul le 1er étage est accessible. Celui-ci est une immense salle, « la plus grande suspendue au monde », le Salone. Les murs et piliers abattus dans un second temps, l’espace intérieur est une grande place couverte d’environ 40 000 m3 avec 81 mètres de longueur et 27 de large et de haut sous la voûte en charpente. La loggia côté Sud est accessible et donne une vue plongeante sur la Piazza delle Erbe et son agitation humaine.
il Salone
la Piazza delle Erbe
L’espace est vide et n’expose rien sinon trois objets sans grand intérêt. En entrant sur la droite, la Pietra del Vituperio, ancêtre du pilori. C’est sur cette “pierre du déshonneur” que les débiteurs ne remboursant pas leur dette devaient, en caleçon et chemise, s’asseoir et répéter 3 fois “je renonce à tous mes biens” devant 100 personnes avant d’être expulsés de la cité. Dans le coin à gauche, un grand pendule de Foucault rappelant l’histoire scientifique de la ville. Enfin, au fond, une copie en bois du cheval de la sculpture de Donatello qui se trouve sur le parvis de la basilique Saint-Antoine de Padoue (voir plus bas).
C’est à Giotto, maître précurseur de la Renaissance, que l’on confia la décoration intérieure : un ensemble de fresques de 600 mètres de long sur le thème de l’astrologie, d’après une étude de Pietro d’Abano. Il le réalisa lors de son second séjour à Padoue, après celui en 1303 où il a réalisé celles de La Chapelle des Scrovegni). Malheureusement, le cycle fut anéanti lors de l’incendie de 1420. Quelques peintures attribuées Giusto de Menabuoi ont toutefois été épargnées mais la réinterprétation actuelle est due à Nicolò Miretto et Stefano da Ferrara avec 333 fresques.
Le programme iconographique se tient en deux niveaux : la partie supérieure présentent les images célestes, tandis que celles du bas décrivent les influences qu’elles ont dans la vie de l’Homme sur Terre. Le cycle est articulé sur les quatre murs en douze compartiments. Chaque signe astrologique est entouré de cases figurant l’apôtre, la planète, les constellations, les occupations de la vie quotidienne et métiers associés ainsi que les caractéristiques humaines du signe. Au milieu de la salle, une méridienne solaire du XVIIIe siècle (comme vu celle sur la Piazza Vecchia de Bergame 15 jours plus tôt lors de mon road trip dans le Nord de l’Italie). À midi, le rayon rentrant par la bouche du soleil vient sur la ligne et, selon sa position, indique le jour de l’année. Ainsi, véritable système astrologique, le “Salon” fait figure d’immense almanach.
Le Prato della Valle
Pour rejoindre la place principale de Padoue, il faut descendre la Via Roma qui se poursuit en Via Umberto Ier. Cette artère piétonne partant même de la Piazza Garibaldi est bordée de commerces divers (boutiques de vêtements, bars, restaurants, gelateria…). Comme dans l’ensemble de la cité, on retrouve des arcades de part et d’autre. D’ailleurs, soit dit en passant, j’ai l’impression que 90 % des rues du centre-ville étaient couvertes (encore plus qu’à Turin ou Milan). Sur le chemin, petit passage dans l’Église Santa Maria del Servi. En m’autorisant un écart (après tout, je fais bien ce que je veux), j’ai suivi un canal le long de la Riviera Tiso da Camposampiero pour aller voir l’Oratorio San Michele en fait fermé à ce moment là (2€). Je me suis alors consolé avec la vue pittoresque sur la tour du Castello Carrarese. Surnommée La Specola, elle a été transformée entre 1767 et 1777 en observatoire astronomique.
De ma première visite de Padoue, je me rappelais principalement de cette place. De nuit, au cœur de l’hiver, éclairée dans une douce brume où se tenaient ces statues dans un théâtre muet. Cette image est restée gravée dans mon esprit depuis. Ainsi, c’est le premier des lieux que je voulais revoir en revenant à Padova. Elle est beaucoup plus large que les souvenirs que j’en avais (en fait, il s’agirait de la plus grande Place d’Italie avec 8,86 hectares). Originellement entièrement recouverte d’herbe, la “prairie de la vallée” est aujourd’hui une vaste esplanade majoritairement bitumée. Là aussi, des étals de fruits et légumes s’y tiennent le matin.
En son centre, l’Isola Memmia préservée, un ovale herbeux encerclé d’un canal, de parapets et de 78 statues. Celles-ci représentent des personnes illustres ayant en un lien avec la ville. Sur l’île, une population “hétérogène” vient flâner et se poser dans l’herbe à l’ombre des arbres (certains y font la sieste) autour de la fontaine centrale.
En souvenir de mon premier voyage, je ne pouvais pas ne pas revenir sur le Prato della Valle de nuit. Le soir, les padouans investissent les bars dans les rues et une autre vie se met en scène. J’ai patienté sur l’une des terrasses installées sur les bords de la place. Bon, j’ai un peu l’impression d’être au milieu de nulle part sur le bitume de l’esplanade mais j’ai pu me poser pour écrire mes notes et observer la vita padovana. La nuit venue, je suis allé refaire le tour du canal, regrettant amèrement de ne pas avoir pris mon trépied…
le canal de l’Isola Memmia avec la Basilique Sainte-Justine arrière-plan © L’Oeil d’Édouard / Instagram 📷
Les églises de Padoue
Juste à côté, l’Orto Botanico de Padoue se visite. Créé en 1545, il est le plus ancien jardin botanique encore existant au monde, et est classé au patrimoine de l’UNESCO (➔ reportage vidéo). Mais ce quartier est surtout l’endroit où se situent les deux édifices religieux les plus remarquables de Padoue : l’Abbazia di Santa Giustina et la Basilica di Sant’Antonio.
La Basilique Sainte-Justine
Visible depuis le Prato della Valle, cette ancienne abbaye a été érigée au VIe siècle sur la tombe de la martyre Sainte Justine de Padoue. Toutefois, c’est au XIVe et XVe siècles que de grands travaux furent entrepris pour lui donner plus d’ampleur. Celle-ci fut fermée en 1810 par Napoléon Bonaparte avant de rouvrir au public en 1919. D’une longueur de 122 mètres sur 82 de large, elle est l’une des plus grandes basiliques d’Europe.
À l’intérieur, le pavement en marbre, typiquement géométrique, rajoute à l’effet d’immensité de la nef. De part et d’autre, de nombreuses chapelles latérales décorées abritent des retables. Le chœur comporte un maitre-autel de XVIIe siècle en-dessous duquel a été placé le corps de Sainte-Justine. Derrière lui, un grand retable intégrant Le Martyre de Sainte Justine de Véronèse. Les deux parties qui m’ont toutefois le plus intéressé sont le Corridor des Martyrs avec ses murs peints en trompe-l’œil et le puits ainsi que le très décoré Sanctuaire de San Proscodime de Padoue avec son sarcophage.
La Basilique Saint-Antoine de Padoue
Alors là, je suis très embêté… Je vais vous parler d’une des plus belles églises que j’ai vues de ma vie mais… sans pouvoir vous montrer une seule image de l’intérieur. Le jour où je l’ai visitée se tenait le Jubilé de la Miséricorde et il était absolument interdit de prendre des photos. Pour, autant que faire se peut, tenter de combler cette lacune, je vous renvoie ici et là pour vous faire une idée du faste de la décoration.
Construite en 1238 en l’honneur de Saint Antoine de Padoue, elle se dresse sur la Piazza del Santo où se situent également l’Oratorio di San Giorgio, le Monument équestre à Gattamelata en bronze réalisé par Donatello en 1453. Derrière sa façade romane, son architecture comporte trois nefs, six chapelles et quatre cloitres. À l’intérieur, splendide (je vous le redis), le chœur a été décoré notamment par Donatello et la Chapelle du Tombeau, est un chef-d’oeuvre de la Renaissance avec ses bas-reliefs et son sarcophage sculptés. La Chapelle des Trésors expose les reliques de Saint Antoine dont sa langue conservée, ses menton et appareil vocal ainsi qu’une bure et le cercueil dans lequel il avait été déposé.
La Chapelle Scrovegni
Point d’orgue de mon séjour, voici, point de vue tout à fait subjectif, un des incontournables à voir à Padoue (enfin, si on a un brin de sensibilité pour l’art, mais franchement, je vais essayer de vous convaincre parce que quand-même !). Cette modeste chapelle privée, construite au XIVe siècle aux abords d’une ancienne arène romaine, renferme l’un des joyaux de la première Renaissance Italienne. Son propriétaire, le richissime banquier Enrico Scrovegni, a commandité à Giotto la décoration intérieure de son église de l’Arena. Cet ensemble de fresques est considérée comme l’œuvre la plus remarquable et significative maître du Trecento. Son art influença considérablement les avancées techniques et esthétiques de la Renaissance, jusqu’à aujourd’hui où Bill Viola, pionnier de l’art vidéo, a crée une œuvre reprenant celle de Padoue.
Pour visiter la Chapelle Scrovegni (14€), il faut réserver à l’avance (et de préférence au moins un jour plus tôt). L’intérieur est accessible à 25 personnes maximum en même temps. La visite dure 30 minutes et se fait en deux temps. Une première partie de 10-15 min se fait dans une salle annexe montrant une vidéo explicative sur l’œuvre, son histoire et sa conservation (en fait, il s’agit de rééquilibrer la qualité de l’air à l’intérieur après avoir ouvert les portes aux visiteurs). Ensuite, après que le groupe précédent est sorti, on pénètre dans la cappella dell’Arena pour une visite de 15-20 min.
J’ai prévu de vous écrire plus tard (quand je pourrai !) un article détaillé consacré exclusivement à ces fresques. Néanmoins, sachez déjà que c’est un vrai choc émotionnel, esthétique et intellectuel de se retrouver au cœur de ce chef d’œuvre de l’Histoire de l’Art (plus encore que La Chambre des Époux de Mantegna, vue 3 jours plus tard à Mantoue). Depuis mon adolescence, je vois ces images dans des livres.
Entre 1303 et 1305, Giotto a réalisé sur les murs de la nef un ensemble de panneaux représentant des Scènes de la vie de la Vierge et des Scènes de la vie du Christ. Sur les parties hautes et basses, on peut également voir celle de Joachim ainsi que des allégories des Vices et des Vertus en grisaille. Le talent de Giotto est ici à son apogée. Ce qui marque son œuvre est la transition qu’il fera entre l’Art Médiéval et la Renaissance. À l’image de la pensée humaniste naissante, les personnages prennent corps (ils gagnent en volume et capturent les ombres) et esprit (les émotions, individualisées, se lisent sur les visages : Masaccio et Vinci suivront). L’environnement, souvent architectural, est représenté avec une profondeur suggérée (fini les fonds dorés byzantins) dont laquelle viennent se positionner les figurants dans une scène narrative.
Le plafond est une voute céleste utilisant le fameux bleu intense qui a fait la réputation de Giotto (Klein suivra). Sur la paroi du fond, Giotto a réalisé une immense fresque du Jugement Dernier. Pluri-narrative, elle se compose de plusieurs scènes autour du Christ entouré d’anges et de ses apôtres (12, pas rancunier…). Si on retrouve les Enfers en bas à droite, la petite scène croustillante se situe tout au pied de La Croix : la dévotion ayant ses limites face à l’égo, Enrico Scrovegni, propriétaire du lieu et commanditaire de l’œuvre, s’y est fait représenter montrant la Chapelle de l’Arena à la Vierge.