Voyager aujourd’hui…

sur les murs de Beyrouth

Voyager aujourd’hui, c’est se jouer de la géopolitique, des religions, ou des conflits, c’est rester ouvert à l’envie de découvrir, de comprendre et de voir de ses propres yeux. Pour préparer ce week-end en famille j’entrais de plein pied dans un conflit géopolitique historique : je devais me rendre à Tel Aviv pour un salon professionnel, mais avec un tampon Israélien, pas de week-end à Beyrouth. Et alors que les villes sont si proches qu’on se verrait simplement prendre un taxi pour les rejoindre, pas de vol direct entre Tel Aviv et Beyrouth. Deux possibilités, faire un deuxième passeport pour raison professionnelle, ou troquer le salon à Tel Aviv contre une réunion à Londres. L’option 2 a eu ma préférence.

 

En ce mercredi 11 novembre 2015, me voici donc en route pour Beyrouth, Liban. Je me voyais déjà ressentir l’ambiance métissée des quartiers musulmans, des quartiers chrétiens, l’ambiance particulière de ces pays entre occident et orient. Et puis le Liban ça sonne un peu comme le berceau de l’art de vivre, je m’imaginais les belles libanaises, bien apprêtées, talons aiguilles et compagnie ! et puis la nourriture… bref un voyage dans les Mille et une nuits quoi !

Sauf que voila même si j’ai profité de Beyrouth et du Liban, je ne peux pas détacher ce voyage des événements qui ont eu lieu à cette période et qui laisseront toujours en moi une impression d’irréalité. Le jeudi 12 novembre, jour de mon 32ème anniversaire, nous nous sommes réveillés au son des alertes du téléphone de ma sœur qui nous annonçait un attentat dans le quartier du Hezbollah. La suite des événements racontera qu’il s’agissait de l’attentat le plus meurtrier depuis près de 10 ans ! La balade à Beyrouth, le restaurant pour mon anniversaire… pendant quelques heures tout est en suspens en attendant de savoir quels sont les quartiers sûrs, est ce qu’il y a d’autres alertes à venir. Non c’est bon, les événements se concentrent au Sud de Beyrouth, dans le quartier du Hezbollah. Du coup aucun problème pour se balader dans les autres quartiers, et confirmer également la réservation au restaurant où nous dineront le soir même. Le restaurant était d’ailleurs plein.

C’est étonnant de voir comme on s’habitue à tout, l’attentat aurait pu se produire à 6000 km de la autant qu’à 10km la sensation aurait été identique. Il faut dire que le Liban n’en est pas à ses premiers heurts bien sur… Mais tout de même, déjà la première balade de la ville m’avait révélé un décor surréaliste entre bâtiments abandonnés et criblés de balles, quartier du parlement entouré de barbelé, puis nouveau souk où règnent en maitre, Tiffany, Cartier et les autres, nouvelle Mosquée immense à côté d’une ancienne Cathédrale… Mais en arriver à ressentir que l’attentat s’est produit dans une autre ville, ailleurs dans le monde alors que c’est à 10km de la, c’est au-delà de tout contraste. J’ai vécu cela à Tel Aviv une fois, lors d’un rendez-vous professionnel ; il y a avait eu un attentat dans le nord de la ville, 2 morts… et nous avons continué à parler contrat et stratégie commerciale. Parce-que « là-bas » ; dans « ces » régions ; c’est de l’ordre de la normalité.

Sauf que voila, le lendemain soir, le vendredi 13 novembre, c’est au tour de Paris de subir un attentat. Nous visionnons des images temps réel sur l’I-Pad de ma sœur dans ma chambre à Beyrouth. Au milieu de la nuit libanaise me voici en train d’écrire à tous mes amis parisiens, attendant des réponses… Ouf tout le monde va bien de mon côté. Je finis par m’endormir un peu fébrile, sans vraiment comprendre s’il y a un lien entre l’attentat de jeudi à Beyrouth et celui de Paris. Sans vraiment savoir si les images que nous venons de voir sont tirées d’un jeu vidéo, ou si cela est vraiment en train de se produire. Le lendemain matin le réveil est engourdi, encore ce sentiment d’irréalité, il fait beau et chaud à Beyrouth, on ne parle plus de l’attentat de jeudi, plus aucune alerte dans le pays mais à 3 000 km de la des amis cherchent leur proche… je passe le samedi à admirer des paysages de cèdre du Liban, d’ancien palais, le téléphone à la main attendant des nouvelles… quand le pire arrive… et oui ça devait arriver, on connait tous quelqu’un qui traine toujours dans ces quartiers populaires de Paris. La nouvelle tombe, je suis dans la cour du Palais de Beiteddine. On ne peut rien faire de toute façon, le billet d’avion est booké dans 2 jours, il faut continuer la visite. Le comble je suis dans un pays qui se remet lentement de la guerre civile, qui vient de subir un attentat, et qui pourtant ne marque même pas une pause dans sa vie quotidienne et c’est à Paris que tout s’arrête. Les règles du jeu ont changé. Le dimanche matin nous brunchons tranquillement à Beyrouth, pendant que les parisiens restent chez eux. La communauté internationale s’émeut pour Paris, prie pour Paris, et l’événement de Beyrouth parait banal à côté.

Plus que des « poids » de vie, nous vivons/vivions avec cette idée « normale » que certains pays sont à risque et d’autres non, que certains pays sont pauvres et d’autres non, que certains pays sont libres et d’autres non… et cet état de fait constitue notre normalité. Et moi la première, je m’insurge de cette situation mais ne sait pas quoi faire contre un système si historiquement et mondialement et économiquement bien ficelé ! Alors je me dis que la première étape est de publier ce texte, car le dire c’est déjà faire quelque chose. Et je me dis que continuer à voyager est une seconde action crédible.

Pour ma part, je me pose plus que jamais comme voyageuse, le voyage comme envie de comprendre. Voir que l’on s’habitue à tout, qu’on vie avec tout et que même dans un pays et une ville qui ont subi tellement de dégradation on continue à créer, à sortir, à reconstruire, à partager, à échanger. Mais je me pose une question, est-ce notre endurance qui changera les choses, où va-t-il falloir que cette propension à résister, à s’habituer se mue en profond désir de changement et d’action véritable ? Dans cette nouvelle ère, le voyageur plus que jamais fait office de représentant, de compréhension, de témoin, d’ouverture d’esprit. C’est une vision un peu utopiste bien sur, mais si on prenait le temps de voir comment les gens vivent ailleurs, de se mettre à leur place, il me semble que cela apporterait un peu d’apaisement. Et si le voyage pouvait changer le monde !




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